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Autorisée à entreprendre : l'histoire d'Iris

25 mai 2019
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Romain Gerard, auteur de cet article, a travaillé chez Ticket for Change entre 2015 et 2017. Après avoir repris ses études, il a intégré la fonction publique via l’EHESP. Il est aujourd’hui élève-directeur d’hôpital au CH de Calais.


Iris Roussel est fondatrice d’OZ’IRIS Santé. Créée en 2015 à l’issue du deuxième tour de Ticket for Change, OZ’IRIS Santé conçoit des parcours de santé qui visent à améliorer la satisfaction des patients, des familles et des soignants en se focalisant sur l’expérience-patient via la méthode du design thinking. OZ’IRIS Santé est aujourd’hui une équipe de six personnes, basée à Lyon, et travaille pour des acteurs privés (ex : Altpis) ou publics (ex : Centre Gérontologique Départemental de Marseille) du monde de la santé.

La première fois que j’ai rencontré Iris en 2015, lors du Tour de Ticket for Change, elle a passé dix jours à expliquer à quel point elle manquait cruellement de confiance en elle. Tout ça pour finir ces dix jours à la découverte des entrepreneurs sociaux et un peu de soi aussi par pitcher son embryon de projet devant huit cent personnes conquises à la Maison de la Radio. A l’écouter ainsi parler, je ne pouvais que m’interroger : mais comment cette fille qui manque autant d’assurance fait elle pour être convaincue par son projet qui n’existait alors même pas ?

Pour le comprendre, commençons par le commencement, et Orange. Ou près d’Orange, en Provence. « J’habitais dans un mas, dans un bled paumé. Avec mon frère, on passait notre temps à s’inventer des histoires et jouer dehors ». Assis par terre à côté des toilettes de mon train Paris – Calais, je découvre l’enfance que j’imagine idyllique d’une gamine qui passe son temps à faire du dessin et construire des cabanes au beau milieu des vignes et des cigales.  « Tu sais Romain, mon père bossait avec des sculpteurs, alors à la maison on était habitué ». L’enfant file au collège, mais ne découvre pas pour autant la confiance en elle, ajoutant à quel point elle était une enfant réservée. En l’écoutant décrire son enfance, je me permets de lui demander ce qu’aurait pensé la Iris-de-10-ans-qui-construit-des-cabanes de la Iris-de-29-ans-qui-a-monté-sa-boîte-qui-commence-à-décoller. L’introspection forcée en plein dimanche après-midi laisse un blanc au téléphone, alors, balloté par les remous de mon train, j’attends, avant qu’Iris ne lâche : « Je crois que je serais vraiment, mais vraiment étonnée de me rencontrer. Je n’aurais jamais pensé faire ce métier-là ! ».

Dessin, design, et timidité, trio magique.

Pourtant, sa créativité empêchée par les exigences scolaires d’un bac S au lycée, ressurgira plus tard, au bout du parcours classique de l’élève sérieux mais désabusé : bac S donc, école d’ingénieure prestigieuse à Lyon, stage de fin d’études dans une grande entreprise du CAC 40, déception, quête de sens, année de césure (en Amérique Latine), et la reconnexion avec ses premiers amours : le dessin et le design.

« J’ai toujours aimé le design, mais en France personne ne comprend ce que c’est, tout le monde croit que c’est de l’art ». Et Iris d’enchaîner sur une explication passionnée évoquant pêle-mêle les « immersions-terrains, le prototypage, l’empathie … ». Bref, chausser les bottes de son client. « Déjà depuis la seconde, tous les étés, je regardais les écoles de design. Mais quand tu fais S, tu vas en école d’ingénieur, pas dans une école de design ». Avec son passage en Amérique Latine, la Iris-de-10-ans-qui-construit-des-cabanes évolue en la Iris-de-24-ans-qui-développe-une-sacrée-dose-de-réflexion, et, par un coup en trois bandes, découvre à la fois l’ESS, se reconnecte au design, puis se met à entreprendre, pour mettre dans le mille en montant OZ’IRIS Santé.    

L’ESS, tout d’abord, c’est Ticket for Change. « Je zonais sur internet et j’ai vu une offre de stage chez Ticket for Change : ça parlait de sens au travail, c’était bien la première fois que je voyais ça dans une annonce de job, ça a fait tilt ! ». Au téléphone, le rythme s’emballe, Iris m’expliquant son entrée chez Ticket for Change, comme coordinatrice à Lyon du premier tour en 2014, et rigole : « L’ESS, franchement, je ne connaissais absolument pas, je ne comprenais pas grand-chose aux premières réunions ». Mais l’expérience lui plait et elle découvre un secteur dans lequel elle voudra travailler.

Le design, ensuite. « Après Ticket, j’ai repris mes études, en faisant une école de design, spécialisée en innovation sociale, à Nice. Avant Ticket, jamais je n’aurais regardé, mais après j’ai postulé direct !». La jeune fille réfléchie a bien évolué depuis ses cabanes provençales mais conserve le fil conducteur du dessin, et du design. Et s’affirme, enfin, en convergeant vers l’entrepreneuriat.

« Ça me démangeait de voir Ticket for Change de l’autre côté de la barrière, d’être moi aussi entrepreneur, mais je n’osais pas. Quand le 2ème tour a lancé sa campagne de recrutement, Joséphine la co-fondatrice de Ticket, m’a envoyé un texto, un truc du style « eh meuf tu ne voudrais pas postuler ? », alors je me suis sentie légitimée, comme autorisée à postuler, et j’ai postulé ». Et voilà comment on se retrouve en 2015 à pitcher devant huit cent personnes un projet qui n’en est qu’au stade de l’idée.  

« Je me suis sentie légitimée »

Et après ? « Avec le recul, Ticket m’a beaucoup apporté sur la confiance en moi ». Tiens donc. « Ils font des trucs d’introspection, que je n’aurais jamais osé faire à mon âge. Et en même temps c’est hyper pragmatique, ça n’est pas perché ». Une marque de fabrique qui donne une vraie valeur pédagogique à un Tour de France qui se poursuit par un accompagnement à l’époque d’un an, à raison d’un week-end tous les deux mois. « C’était un vrai investissement pour moi, j’étais à nouveau étudiante et Nice-Paris en avion pour une étudiante, je t’assure que c’est un budget ». Elle repart motivée de chacun de ses week-ends, à une époque où le projet avance et recule sans vraiment prendre forme. Une fois l’école finie – autant celle de design que Ticket for Change – la jeune fille se lance. « Sans Ticket, je n’aurais pas entrepris à ce moment-là, ou pas de cette façon-là.

Quatre ans plus tard, la jeune fille s’est affirmée, approche la trentaine (eh oui), a connu des galères, aussi, en s’interrogeant notamment sur la raison même de son engagement. « A un moment donné, je ne prenais plus de plaisir à ce que je faisais. Je négociais des contrats depuis des mois, machinalement, et je n’aimais pas ça. Les deux incubateurs où j’étais m’ont donné le meilleur conseil : ‘reconnecte-toi à ce qui fait sens pour toi, abandonne ton projet un mois, retourne dans un hôpital voir comment ça se passe’. Je me suis sentie autorisée ». Au téléphone, je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’elle a décidément besoin d’être autorisée à peu près à tout ! Elle ajoute : « Bon, dans les faits, je suis restée dix jours chez moi dans mon lit et j’ai vu personne. Puis j’ai recommencé à négocier mes contrats, cette fois-ci avec une énergie vraiment différente ».

Savine, l’ex-infirmière devenue stagiaire, la rejoint dans la foulée et devient son associée. Ensemble, elles ont constitué une équipe de six personnes, et travaillent pour des laboratoires privés, des hôpitaux publics, des mutuelles … « Tu te rends compte Romain ? Il y a des gens qui rejoignent mon projet, qui y croient. Je trouve ça ouf ! ». C’est sûr que pour quelqu’un qui ne croyait pas en soi, que d’autres croient autant en son projet, c’est gratifiant.

Déjà plus d’une heure au téléphone et mon train arrive à destination, je ne suis désormais plus tout seul à côté des toilettes. Avant de raccrocher, je lui demande qui sera la Iris-entrepreneuse-un-poil-plus-affirmée-quand-elle-aura-40-ans. Cette fois-ci, pas de blanc, la réponse fuse, affirmée : « J’espère bien qu’on aura changé la vie de plein de personnes, et qu’on l’aura mesuré … enfin non, pas changé, c’est prétentieux. Disons amélioré ». Une question d’autorisation ?



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